9 heures - Le sentier étroit longe une falaise impressionnante. Consciencieusement les enfants attachent leur longe au câble qui protège de tout faux pas. Après avoir traversé une épaisse forêt et descendu un petit canyon sec, nous venons de déboucher sur un panorama impressionnant où deux vallées profondes se rejoignent. L'ombre qui noie le fond des gorges rend encore plus intrigant le grondement sombre de la rivière. Pour ajouter une touche délicieusement inquiétante à ce spectacle, d'immenses rapaces tournoient au-dessus de nous. Des dizaines de vautours et des gypaètes barbus dont l'envergure dépasse allègrement les deux mètres ont décidé d'enrouler le même thermique ! Un peu plus loin, une descente en rappel d'une dizaine de mètres marque l'arrivée au fond du canyon. Les six enfants dont l'âge varie de 9 ans à 13 ans se trouvent ainsi confrontés à l'application « in vivo » de la théorie apprise hier. Pour Quentin et Chloé : C'est trop facile et rigolo, il faudrait que la falaise soit plus haute, et qu'on puisse finir dans l'eau. En revanche Nicolas n'est pas très rassuré : J'ai peur de glisser et de me cogner. Au sommet, François Dessaux qui accompagne le groupe assure chaque personne dans la descente : (…) les rappels sont (…) faciles, mais ils participent au sentiment aventureux du séjour ici.
9 h 30 - Au fond du canyon, tout le monde enfile sa combinaison. Séance de contorsion dans la règle de l'art. Les enfants utilisent un sac plastique pour enfiler jambes et bras. Après quelques jours d'expérience, l'épreuve deviendra de moins en moins pénible... Le casque est solidement fixé et ne sera pas retiré pendant toute la durée de la descente. Les vêtements secs sont placés dans les bidons étanches que l'on portera sur le dos et qui seront parfois poussés devant nous dans les passages trop étroits. Avant le départ c'est l'heure du « briefing sécurité », toujours bienvenu alors que nos aventuriers en herbe piaffent d'impatience, hypnotisés par la rivière qui leur lance des appels de sirènes... François Dessaux explique : L'univers du canyon s'apparente un peu à l'alpinisme dans le sens qu'il recèle des dangers objectifs parfois difficiles à déceler. Notre travail est de guider (…) dans cet univers magnifique et ludique en évitant tout accident. Nous devons donc instituer des règles de conduites simples mais incontournables. Suivre le guide, ne jamais passer devant, attendre pour franchir un passage qu'il donne le feu vert...
10 heures - Le canyon résonne de cris d'enfants qui décidément « s'éclatent vraiment trop ! ». Premier hit parade, les sauts avec ce qu'il faut d'adrénaline. D'une hauteur de trois à quatre mètres, avec réception dans des « marmites » ou des zones d'eau profondes. Peu d'hésitation chez les plus jeunes, Mathilde et Julien sont volontaires pour inaugurer chaque saut. Leurs parents sont parfois plus hésitants : Euh, mon bébé, tu es sûre que ça ne craint rien ? Mais non papounet, vas-y saute ! Autre point d'orgue des descentes, les passages en toboggan. Lancer d'abord le sac au loin, s'allonger sur le dos, croiser ses bras devant soi, et se laisser glisser (les yeux peuvent rester ouverts). Arrivée dans un grand plouf et départ immédiat vers de nouvelles aventures. Pour Grégoire (13 ans), le canyon est d'abord une histoire de surprises : On avance et on ne sait pas ce qu'on va trouver, parfois on pense que ça ne passe pas, le guide se glisse dans un trou et on le voit disparaître. Derrière, ça nous donne la trouille et on se dit qu'on ne passera jamais. Et finalement on y va, il y a de l'eau partout et on arrive dans une sorte de grotte avec une ambiance magique. Après on continue en nageant au milieu de grandes parois de rocher, c'est impressionnant et on se croirait dans un film d'aventure...
12 heures - Dans le lexique du parfait « canyoniste » les mots, bief, chaos ou siphon, portent leurs promesses de passages étonnants et parfois inquiétants. Après avoir passé deux bonnes heures à trouver notre chemin au milieu d'un chaos de blocs énormes en contournant des siphons bouillonnants, notre matinée s'achève avec un long bief (tranquille), large parfois d'à peine un mètre, bordé de falaises de plusieurs centaines de mètres de haut et qui vient s'échouer sur des dalles ensoleillées. L'occasion pour les plus jeunes d'enlever les combinaisons et de se réchauffer. En sortant le pique-nique, François Dessaux explique : La température de l'eau se situe entre 15°C et 20°C et même avec des combinaisons, les enfants se refroidissent après plusieurs heures dans l'eau, il faut donc prévoir des pauses pour se réchauffer de façon à ne pas transformer la rando en calvaire grelottant... Place donc à un déjeuner entre soleil, baignade et farniente de bon aloi.
15 heures - Notre guide s'est arrêté bloqué dans une petite cascade qui lui sert d'écrin, il place un adulte près de lui en lui montrant un trou à quelques centimètres de ses pieds où s'engouffre l'eau mais qui semble bien inoffensif : Tu contrôles que les enfants passent bien à droite, c'est un siphon aspirant qui peut être très dangereux. Une simple précaution qui en dit long sur l'expérience nécessaire avant de prétendre parcourir un canyon en toute sécurité. En l'occurrence, le danger était minime car le siphon ne se trouvait pas directement sur le passage mais comme le souligne François Dessaux : Si l'on veut que le canyon soit amusant pour tout le monde, il faut entrer un minimum dans les zones de chaos et c'est alors qu'il faut bien appréhender les dangers objectifs. Suivant la hauteur de l'eau, le fait qu'il y ait eu de l'orage la veille et que l'eau soit opaque, ces dangers prennent des natures très différentes. Il faut des années d'expérience pour ne plus se faire surprendre...
17 heures - Une jolie surprise nous attend à la fin de ce canyon, sous la forme d'un petit barrage de neuf mètres de haut qui permet de s'offrir un saut avec arrivée en eaux profondes. Là encore, les plus jeunes n'hésitent pas une seconde et encouragent leurs parents avec ce qu'il faut de railleries... Alors papounet, tu fais moins le malin, hein ? C'est un peu haut, non ? Tu peux faire le tour si tu as peur... Mais quelques minutes plus tard, papounet sera vengé sur le chemin escarpé et accablé de soleil qui remonte la gorge étroite. Aux regards lourds de reproches d'une progéniture qui s'imaginait que le canyon c'était « que de la descente », il suggérera que oui, peut-être : C'est un peu haut, mais que s'ils le souhaitent, les enfants pourront faire le tour...
19 heures - Sur les hauteurs de Rodellar, la lumière est cristalline et une légère brise accompagne la douceur du soir. Après le traditionnel nettoyage-remisage des combinaisons, les enfants se sont rapidement éclipsés vers quelques jeux pendant que les parents cèdent à l'appel contemplatif du panorama. Tout en bas, le grondement lointain se perd dans l'ombre qui grignote à nouveau le fond des canyons. Quelques rapaces aux envergures d'aéroplanes profitent silencieusement des dernières remontées d'air chaud. Cette nuit, (…) les rêves des petits et des grands seront peuplés de folles glissades, de nages et de sauts, mélangeant les jours et les lieux, canyons, barrancos, estrechos, comme autant d'appels vers les splendeurs de la Sierra de Guara...
La renaissance de Guara
La présence humaine en Sierra de Guara remonte au néolithique, comme le témoignent certaines peintures rupestres. Malgré un relief vigoureux, les villages étaient nombreux et beaucoup de paysages ont été façonnés par les habitants de ces montagnes qui culminent à 2 076 m. L'élevage de moutons, un peu de céréales et de vigne, ainsi que les récoltes d'amandes et d'olives et l'entretien de jardins vivriers constituait l'essentiel d'une économie traditionnelle conditionnée par un climat rigoureux l'hiver et caniculaire l'été.
Entre 1950 et 1965, l'exode rural a été foudroyant avec dix-neuf villages totalement abandonnés. L'histoire touristique de la Sierra de Guara n'a réellement commencé que dans les années 80. Pourtant dès la fin du XIXesiècle, Lucien Briet, un jeune photographe français, avait publié plusieurs reportages sur le massif et ses splendeurs géologiques.
Dans les années 60, quelques spéléologues, emmenés par Pierre Minvielle, visitèrent certains canyons et publièrent le premier guide sur la région. À partir de 1975, un groupe d'accompagnateurs Français (…), commencèrent l'exploration systématique et préparèrent la véritable explosion touristique au milieu des années 80. Aujourd'hui la Sierra de Guara est considérée comme le premier centre mondial de canyonisme, les structures d'accueil se sont multipliées, et les groupes se succèdent tout l'été dans tous les canyons du massif. Une véritable renaissance pour cette région qui fut longtemps sinistrée.
|
|